Ce deuxième numéro aborde les notions d’indexation, de tri et de représentation des données numériques. La faculté à stocker et à traduire l’information en entités discrètes est une caractéristique fondamentale de l’ordinateur. La mise en mémoire d’opérations de calcul et la capacité à les exécuter sont ainsi au cœur de la « machine de Turing » ; conceptualisée puis élaborée au tournant de la Seconde Guerre mondiale. L’ordinateur comme principe d’ordonnancement du monde s’inscrit dans la très longue histoire des supports de mémoire (les hypomnemata de Michel Foucault) : écrits, cartes, index, sites Web, revues, bases de données, archives en ligne, chaînes de blocs, etc., qui constituent autant de tentatives d’inscription de la complexité du réel.
Contrairement aux médias imprimés, le numérique autorise l’affichage différencié d’une même information grâce au découplage entre les données et leur mise en forme. Ce nouveau paradigme de conception implique que les designers graphiques repensent leurs méthodes de travail : il ne s’agit plus seulement de concevoir des formes pour des supports stabilisés (au format connu à l’avance), mais surtout de prendre en charge des chaînes de transformation du visible (aux formats de consultation démultipliés). Les interfaces, ces modes d’accès aux données, constituent autant de couches programmatiques permettant de rendre intelligible le bruit des machines. Dans bien des cas, celles-ci recouvrent pourtant une opacité par une autre. Que faire alors pour que les êtres humains soient toujours capables de s’orienter dans un monde qu’ils ont, en grande partie, façonné ?
Traduire des données plus ou moins organisées en éléments signifiants (c’est-à-dire en information) implique de sélectionner et de réduire pour rendre intelligible. C’est pourquoi « penser, classer et représenter » indiquent moins un ordre de travail que des nécessaires prises de recul critique sur nos environnements techniques. Du point de vue des designers graphiques, ces choix impliquent une capacité à traduire le réel en signes sensibles, où la marge d’incertitude propre aux médias numériques ne peut jamais s’anticiper totalement. Nous proposons ici de dérouler cette longue chaîne d’inscriptions, de stockages et d’oublis programmés.