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Atelier #01 — VecteursLe plotter comme outil de création

Signes

Bernard Baissait,
Léo Coquet,
Aymeric Dutheil

Entretien avec

L’association Signes, histoire et actualité du graphisme et de la typographie a été fondée à l’initiative de Michel Wlassikoff, historien du design graphique. En plus d’une activité de transmission de textes clés de l’histoire du dessin de caractères, l’association Signes a organisé des workshops ayant pour thème les outils numériques. Nous avons voulu en savoir plus sur cette initiative.

Back Office Quels sont les enjeux des ateliers organisés par l’association Signes ?

Signes Nous avons organisé, en septembre 2015, un premier atelier intitulé « vecteurs ». Destiné aux étudiants et jeunes professionnels, designers graphiques et artistes, il s’agit du premier volet d’une série de workshops consacrés à l’outil dans la création graphique et plastique 11 Atelier #01 ; Vecteurs s’est tenu du 7 au 11 septembre 2015, à l’école de Condé, à Paris. L’expo-sition a eu lieu le lendemain à l’espace Player à Paris.. En partant du constat que l’outil numérique a permis une libération visuelle, a facilité nombre de processus techniques, mais a aussi fermé beaucoup de portes, nous pensons que cette notion a aujourd’hui besoin d’être questionnée. En effet, la chaîne de travail informatique domine et, pour productive qu’elle soit, elle place certaines solutions techniques en situation de monopole, évacuant, de fait, tout questionnement sur les manières de faire. Une solution logicielle transversale (Adobe), destinée à tous les acteurs de la chaîne graphique, s’impose comme un « standard de l’industrie » difficile à contourner. En travaillant, pour chaque session, avec un outil de création inédit, il s’agit de perturber le workflow habituel des participants afin de les sensibiliser à la critique des logiciels dont ils disposent et à les inciter à programmer leurs propres outils.

B O Quel appareil avez-vous choisi pour le premier atelier ?

S Nous avons choisi de mettre à la disposition des participants une table traçante Roland XY-Plotter DXY-1300 dont la commercialisation remonte aux années 1980. Capable de s’interfacer aux premiers logiciels de dessin technique et véritable innovation en son temps, cette table traçante compacte (plotter) est munie d’un chargeur à plumes doté de huit emplacements. Elle permet donc d’utiliser plusieurs outils de tracé et de pouvoir en changer en cours d’impression. Nous avons souhaité approfondir cette spécificité technique en mettant à la disposition des participants une sélection d’outils et de matériaux aptes à être personnalisés puis fixés au porte-plume de la machine : feutres, stylos, calames, pinceaux mousses, pastels gras, éponge, jusqu’à un aérographe conçu pour la machine durant le workshop.

B O Pourquoi travailler avec un plotter des années 1980 plutôt qu’avec une imprimante classique ?

S Par rapport aux imprimantes contemporaines, ce plotter présente la contrainte majeure de ne pouvoir être commandé que par des instructions de dessin vectoriel. Pour se mettre en mouvement, la table traçante interprète en effet le langage HP-GL (Hewlett-Packard Graphics Langage) qui contient de nombreuses instructions et abstractions de dessin similaires à d’autres langages graphiques comme le SVG. En plus de commandes liées au motif à décrire, HP-GL comporte aussi des instructions spécifiques au fonctionnement de ce genre de machine comme : « prendre plume », « baisser plume », « aller à la position (axes X et Y) », « lever plume ». En cela elle se rapproche du langage G-Code utilisé par les machines à commandes numériques des fablabs.

Chaque machine était livrée avec un manuel technique détaillant les instructions gérées par la table traçante, accompagné d’un nombre d’exemples de code informatique susceptibles de répondre à des besoins spécifiques de l’utilisateur. HP-GL est donc une technologie de facto « ouverte ». Les programmes contemporains sont bien loin de ce paradigme : les systèmes d’exploitation emploient des espaces colorimétriques (ICC) et des algorithmes de compression d’image (JPEG, GIF, etc.) majoritairement propriétaires, les formats de fichier fermés des standards de l’industrie graphique (PSD, AI, INDD, etc.) empêchent la portabilité du travail, et les pilotes d’impression sont parmi les logiciels les plus opaques qui soient. L’utilisateur subit l’impression comme un processus passif.

B O En quoi cette contrainte fut-elle bénéfique à l’atelier ?

S La difficulté pour les participants fut d’écrire ou de faire écrire un fichier HP-GL correctement formaté, pouvant être transmis à la machine. Nous n’avons pas imposé de méthode, mais plutôt fourni des protocoles variés permettant une certaine souplesse. Certains participants se sont confrontés directement au HP-GL dans un éditeur de texte brut. La plupart ont cependant choisi de travailler dans des logiciels visuels (Illustrator, Inkscape) et de convertir leurs fichiers (SVG ou EPS) au format HP-GL. S’il est relativement aisé de varier les outils physiques dirigés par la Roland DXY-1300, il est particulièrement difficile de se plier à la rigueur imposée par la syntaxe du code HP-GL. Lors de l’atelier, il était très fréquent de voir l’impression se faire par fragments, une particularité apparemment récurrente avec l’utilisation d’Illustrator.Ne parvenant pas à exécuter les données saisies, la machine traçait chaque vecteur de manière erratique et révélait ainsi les abstractions et les raccourcis utilisés par Adobe dans le formatage de ses fichiers propriétaires. On comprend ici que composer une page et l’exporter sous forme de fichier restent deux étapes distinctes, ce que les interfaces graphiques des logiciels récents ont tendance à faire oublier.

Nous espérons que cet atelier a mis en évidence le fait que les designers graphiques occupent un rôle actif au sein de l’ensemble de la chaîne graphique et peuvent choisir d’adopter une position critique vis-à-vis des standards que l’industrie impose, quitte à réenvisager les modes de production et à créer leurs propres outils — aussi rudimentaires soient-ils.